Gestion des risques: le modèle Paléo Festival

Presse et médias
30 Juil, 2014

Jeudi 24 juillet 2014, 20h55 au Paléo Festival de Nyon. Alors que la foule de spectateurs se presse devant la grande scène pour accueillir Sir Elton John, mes pas me conduisent au fond du « village du monde ». C’est que, après 20 années et quelques 110 jours d’insouciance au Festival (je vous fais grâce de mes statistiques en litres de bière), j’ai décidé de résoudre une question devenue existentielle : comment le type en charge de la gestion des risques s’y prend-t-il pour assurer la sécurité de cette gigantesque usine à bonheur qu’est le Paléo ?

Les chiffres défilent dans ma tête : 230’000 festivaliers, 4’700 bénévoles, 9’000 campeurs… Le Festival, tout en ayant su conserver une âme si chère à ses fans, est une véritable ville éphémère qui, chaque année pendant six jours, représente la 4ème ville de Suisse romande ! J’évite une bande de gamins hilares et manque de m’étaler dans une flaque de boue. C’est que la vie du festivalier, surtout rêveur, est parsemée d’embûches. Le terrain bourdonnant de cris, de rire et de musique semble d’ailleurs lui-même se mouvoir dans un rythme effréné qui appelle à la fête… Mais restons concentrés sur l’objectif.

21h. Pascal Viot, Monsieur risk management du Paléo, m’accueille tout sourire à l’entrée de la zone VIP du « village du monde ». Sa bonhommie est fidèle à l’esprit du festival et son contact chaleureux. Qu’on ne s’y trompe pas, l’homme a de la bouteille et ses responsabilités dépassent la majorité de celles accordées aux risks managers d’entreprise. Employé à 80% par le festival, il dirige 3 salariés à l’année et 1500 collaborateurs sur les six jours de manifestation. Actif depuis vingt ans pour le Paléo, il dirige le secteur accueil et sécurité depuis 2010. Sociologue de formation, il dispose d’un doctorat de l’EPFL sur la gestion des risques dans les grandes manifestations. L’homme providentiel.

La méthode d’analyse des risques utilisée par Pascal et son équipe est un mélange pragmatique de bases théoriques et d’empirisme. Un inventaire complet de tous les périls pouvant toucher le festival est revu chaque année. Les périls sont classés selon leur niveau de risque (fréquence X gravité) et un protocole de réponse est établi pour les niveaux dépassant la frontière de tolérance.

Deux périls spécifiques à ce type d’événement et aux niveaux de risque particulièrement élevés sont les concerts et la météo qui nécessitent des stratégies de traitement complexes et consommatrices en ressources.

Dès la programmation connue, Pascal établit ainsi une liste de concerts à risque. Les niveaux sont établis en fonction des données connues sur l’artiste, de son style de musique et des échanges avec d’autres organisateurs de manifestation. « Chaque prestation d’artiste dans un festival a sa vérité qui est conjonction du moment, de l’ambiance ou du public présent ». Il se déplace personnellement pour voir les groupes à risque pendant l’année précédant le Paléo afin d’en avoir une perception plus fine et établit ensuite un plan de réduction par concert. Ce plan est ensuite validé avec l’artiste. Les adeptes du « crowd surfing » sont par exemple identifiés et leur petit bain de foule préparé avec la sécurité. « L’objectif est de prévenir un maximum les blessures et les éventuels débordements sans freiner la spontanéité du chanteur ni le plaisir des festivaliers. » Le succès sur la plaine de l’Asse des concerts de Cali et Dionysos, coutumiers du faits, ont ainsi un goût particulier pour le service de sécurité du Paléo qui y contribue largement.

Les caprices du ciel constituent le souci numéro 1 de l’équipe de Pascal Viot, l’édition 2014 en étant la preuve humide. Ce dernier insiste sur le fait que la stratégie de gestion de crise ne doit pas être stéréotypée mais basée sur un dispositif agile et intégrant tous les indicateurs nécessaires. « Avec un risque aussi complexe que la météo, la gestion ne doit pas être figée sur une réponse automatique, du type alerte orage = évacuation, au risque d’évacuer le site plusieurs fois par festival ! Il faut piloter la crise en tenant compte de l’incertitude, et réviser notre stratégie plusieurs fois en fonction de l’évolution des prévisions météo. En parallèle à la cellule de crise composée des décideurs du festival, nous avons mis en place une cellule de réflexion rapide qui actualise les options possibles. Elle est activée dans ce type de situation qui nécessite de faire du risk management en temps réel. »

Pascal ne voit pas d’évolution majeure dans les risques à traiter depuis son entrée en fonction. « Les grandes différences résident dans les outils à disposition et la compréhension naissante de la dynamique des foules. » Pour le sociologue, « la foule est une entité porteuse de risque dont les réactions ou la logique de comportement sont largement méconnus. La majorité des organisateurs sont restés sur des théories de la fin du XIXème siècle du type « plus on a de personnes rassemblées, plus l’intelligence se divise. » La vérité est bien évidemment plus complexe et les outils actuels de modélisation et de simulation permettent de comprendre les comportements, voire d’adapter les infrastructures en conséquence. Le bien nommé « safety by design » va renouveler l’approche de la sécurité des grands événements et nous comptons bien être des pionniers. »

21h40. Je laisse Pascal disparaître dans le festival, le portable à l’oreille. Au loin, Sir John entonne « Sorry Seems to Be the Hardest Word » devant une foule hypnotisée. Il n’y aura pas de « pogo » devant la grande scène ce soir.

Article publié sur le site de Bilan.

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