La mise en place du télétravail, particulièrement en période de pandémie, pose différentes questions en lien notamment avec les modalités d’exécution du télétravail, son influence sur le régime des assurances sociales et sur le régime fiscal. Tour d’horizon des enjeux et limites de cette pratique pour les collaborateurs frontaliers, par notre partenaire CJE, Avocats Conseillers d’Entreprises.
Définition du télétravail
Le télétravail n’est pas réglementé ni défini en droit suisse. La notion de télétravail englobe différentes formes de travail où les collaborateur·trice·s s’acquittent d’une partie de leurs tâches en dehors de leur place de travail (voir les conséquences juridiques du télétravail, Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 12.3166 Meier-Schatz du 16 novembre 2016 p.7).
Le télétravail peut être défini comme « forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière » (voir Accord cadre européen du 16 juillet 2012).
Tout savoir sur le télétravail des collaborateurs frontaliers
1. Existe-t-il un droit au télétravail?
2. Est-il possible pour un·e collaborateur·trice domicilié·e en France d’effectuer du télétravail?
– Le droit applicable au contrat de travail ;
– Le régime social applicable ;
– L’incidence fiscale du télétravail.
3. Quelle incidence du télétravail sur le droit applicable au contrat?
Aux termes des art. 18 à 21 CL, celle-ci est applicable lorsque l’une des parties est domiciliée dans un État partie à la convention. Le travailleur peut ainsi agir soit au siège de l’employeur soit au lieu où il accomplit habituellement son travail.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice européenne, le lieu habituel de travail est celui où le travailleur accomplit l’essentiel de son activité, soit selon certains auteurs, au moins 60% (Voir BSK-MEYER/STOJILKOVIC, n 11 ad. art. 19 CL et références citées).
Ainsi, le·la collaborateur·trice frontalier·ère qui exerce plus de 60% de son temps de travail à son domicile pourra introduire action devant les tribunaux de son domicile en France. Il existe également un risque pour que le droit du lieu habituel de travail s’applique.
Afin d’éviter ces effets, il est vivement conseillé de prévoir une élection de droit dans le contrat de travail.
4. Quelle incidence du télétravail sur les assurances sociales?
a. Travailleur salarié actif dans plusieurs états: assuré dans son état de résidence à condition qu’il y exerce une partie substantielle de son activité, à savoir au moins 25% du temps de travail et/ou de la rémunération de l’ensemble des activités;
b. Travailleur n’exerçant pas d’activité substantielle dans son état de résidence:
- Au service d’un ou plusieurs employeurs qui ont leur siège dans le même état: assujettissement dans l’État du siège du ou des employeurs;
- Au service de plusieurs employeurs qui ont leur siège dans deux États différents, dont l’un est l’État de résidence: affiliation dans l’État autre que l’État de résidence;
- Au service de plusieurs employeurs dont deux au moins ont leur siège dans des États autre que l’État de résidence: assujettissement dans l’État de résidence même s’il n’y exerce pas d’activité substantielle.
Ainsi, l’octroi du télétravail à plus de 25% du temps de travail entraîne l’application du régime de sécurité sociale français pour la totalité du revenu.
À titre exemplatif, un·e collaborateur·trice domicilié·e en France employé·e à 100% pour un salaire mensuel de CHF 10’000.- exerce du télétravail à raison de 2 jours par semaine. Il·elle exerce par conséquent 40% de son temps de travail en France et y perçoit 40% de son revenu. L’activité substantielle est par conséquent réalisée en France et la totalité du salaire suisse sera soumise au système français de sécurité sociale. L’employeur devra donc s’assurer de l’application du bon système de sécurité sociale au risque de se voir réclamer le versement des cotisations par l’URSAFF. Il est ainsi vivement conseillé à l’employeur d’interroger spécifiquement et régulièrement le·la collaborateur·trice frontalier·ère sur ses éventuelles activités dans son pays de résidence.
Si l’on arrive à la conclusion que le·la collaborateur·trice n’est pas assujetti·e à la sécurité sociale suisse, l’employeur suisse ne doit pas retenir les cotisations suisses sur le salaire, mais doit s’adresser à l’organisme étranger de sécurité sociale concerné afin de s’acquitter des charges sociales dues. Dans ce cas, deux solutions sont envisageables:
- l’employeur suisse s’acquitte lui-même des cotisations auprès de l’organisme étranger concerné;
- l’employeur suisse signe une convention (selon l’article 21 du Règlement CE 987/09) avec le salarié, et ce dernier s’acquitte de l’entier des cotisations dues auprès de l’organisme étranger (à charge de son employeur suisse de lui verser, en sus de son salaire brut, la part patronale des cotisations étrangères).
5. Comment est calculée la part substantielle de l’activité?
La situation présumée des douze mois civils à venir doit être prise en compte. Cependant, les modalités antérieures d’exercice des activités peuvent également constituer des indices.
6. Régime d’exception jusqu’au 15 novembre 2021
7. Quelles sont les démarches à effectuer si un collaborateur travaille dans son État de domicile pour une entreprise suisse?
8. Le·la collaborateur·rice frontalier·ère qui exerce une activité substantielle en Suisse et une activité accessoire dans son État de résidence est-il·elle couvert par la LAA?
Dans l’hypothèse où le·la collaborateur·trice français·e, domicilié·e en France, exerce en sus de son emploi en Suisse une activité accessoire indépendante en France, il·elle sera également soumis·e au régime suisse de sécurité sociale pour son activité indépendante en France.
9. Quelle est l'incidence fiscale du télétravail?
S’agissant en particulier du télétravail, en application de la convention en vue d’éviter les doubles impositions entre la Suisse et la France du 9 septembre 1966, la portion de la rémunération du travailleur frontalier liée à l’activité qu’il a déployée à son domicile en France, et non à son lieu de travail habituel en suisse, est imposable en France (et non en Suisse).
Pendant la pandémie, la France et la Suisse ont conclu le 13 mai 2020 un Accord COVID dans le but de simplifier temporairement, et sous certaines conditions, les modalités d’imposition du télétravail effectué en France.
En substance, les revenus relatifs à des jours de travail qui n’ont pas été effectués comme d’habitude dans l’État du siège de l’employeur, mais temporairement à domicile en raison des mesures de lutte contre la pandémie, restent imposés en Suisse. Au niveau fiscal, cet accord est valable jusqu’au 30 septembre, en revanche, au niveau de la sécurité sociale, l’accord est prolongé jusqu’au 15 novembre 2021.
Tant qu’un tel accord existe, il n’y a pas d’impact du télétravail des frontaliers sur les pratiques en matière d’impôts à la source. L’employeur doit continuer à prélever l’impôt à la source suisse sur l’intégralité de la rémunération du·de la collaborateur·trice, et ce même pour la portion correspondant aux jours de télétravail en France.
À l’échéance de l’accord, l’employeur qui accorderait au travailleur frontalier la possibilité de travailler 1 jour par semaine (pour un temps plein) à son domicile en France, le salaire afférent aux jours travaillés en France est imposable en France, selon les dispositions, le régime et le taux prévu par le droit français. Le solde étant imposé selon les règles fiscales suisses.
Ce contenu a été rédigé par le cabinet CJE Avocats Conseillers d’Entreprises.